J’ai relu récemment la tribune rédigée il y a quelques semaines dans " le Monde " par l’Ambassadeur américain en France, Charles H. Rivkin.
Ce dernier y louait "le partenariat majeur" joué par notre pays et je ne pouvais m’empêcher de penser au monument érigé que j’ai découvert un jour à Minsk : la statue de " l’île des pleurs" se dressant mélancoliquement le long de la rivière serpentant au cœur de la capitale biélorusse et rendant hommage aux jeunes soldats morts en Afghanistan pendant l’intervention soviétique entre 1979 et 1989. C’est là que traditionnellement, les jeunes mariés viennent, le jour de leur union, s’incliner et déposer des fleurs à la mémoire de ceux qui n’ont pas connu le bonheur.
Je n’ai pas oublié ce mélancolique monument et je pense à nos soldats combattant à leur tour dans les montagnes arides d’Afghanistan, à ceux qui s’y trouvent et aussi à ceux qui y sont déjà tombés ...
N’en déplaise à l’Ambassadeur Rivkin, la guerre ne peut être gagnée en Afghanistan. Elle révèle par ailleurs le caractère éminemment nocif de la politique internationale de Nicolas Sarkozy qui a franchi un pas qu’aucun de ses prédécesseurs n’avaient osé, en réintégrant la France dans l’OTAN.
Pour l’Ambassadeur américain, "nous ne devons pas perdre de vue le fait que chaque soldat, chaque instructeur de police et chaque euro consacré à la reconstruction nous rapprochent d’un Afghanistan plus sûr et plus développé".
Mais l’observateur tant soit peu attentif et au fait des réalités historiques voit bien que ce ne sont que de pauvres billevesées. Et d’ailleurs, ces deux dernières années se sont soldées par une nette dégradation de la situation : des morts, des enlèvements, des attaques terroristes au cœur même des périmètres ultra-protégés de la capitale afghane, des routes de moins en moins sures.
Les Talibans, de plus en plus audacieux, se glissent subrepticement au sein des populations civiles, pachtounes notamment, de plus en plus hostiles à la présence étrangère et ulcérées par les "bavures" de l’OTAN.
Car les Afghans n’aiment guère les étrangers s’incrustant chez eux... C’est ainsi et c’en a toujours été ainsi : le 1er Juin 1965, en recevant à l’Elysée le Roi Mohammad Zaher Shah, le Général de Gaulle soulignait justement que "par une sorte de décret de la nature, l’Afghanistan s’était rencontré avec la domination des Perses, ou avec les conquérants de l’Occident hellénistique et romain, avec la pénétration indienne, les grandes marées mongoles ou avec les ambitions contraires des Russes et des Britanniques ; mais que les Afghans avaient su, sous les flots qui se heurtaient chez eux, garder leur personnalité propre".
Aucune armée n’a jamais pu contrôler le "Royaume de l’insolence", pas même l’Armée Rouge, malgré les moyens qu’elle déploya ... "Chercher à délivrer l’Afghanistan des terroristes qui menacent l’existence même de ce pays" n’est qu’une dérisoire antienne, tant est complexe le rapport des populations avec les Talibans.
Un combat vain, toujours plus coûteux et n’aboutissant qu’à la mort inutile de nos soldats, comme ceux tombés d’ailleurs dans des circonstances mal éclaircies, en Août 2008. Un combat, de surcroît hasardeux, au profit d’un homme ambigu, le Président Hamid Karzaï s’étant maintenu au pouvoir par des moyens frauduleux et ayant, semble-t-il, parmi ses proches des hommes assez douteux compromis dans des trafics divers et variés... Même si certains personnages ont été récemment écartés au profit d’un remaniement ministériel, comment faire prévaloir, dans de telles circonstances, les concepts de "nation building" et de "bonne gouvernance" chers aux Américains ?...
La guerre d’Afghanistan est déjà perdue, comme a été perdue la guerre du Vietnam. A l’époque de l’intervention soviétique, en Janvier 1980, les autorités chinoises notaient, goguenardes, que " contrôler l’Afghanistan, cela semblait aussi simple que, pour un ours, de dévaliser une ruche, mais qu’en fait c’était un nid de guêpes "... Et d’ajouter que "l’Histoire montrerait bientôt que les soviétiques s’étaient rendus en Afghanistan pour y croiser leur propre tombe". L’Histoire, même si elle ne se répète jamais à l’identique, devrait donner à réfléchir !
Cette guerre d’Afghanistan illustre par ailleurs la nocivité de la politique de Nicolas Sarkozy : son américanophilie outrancière maintes fois évoquée, une vision à courte vue de la situation géopolitique, l’ont donc conduit à prendre l’absolu contre-pied de la politique du fondateur de la Cinquième République et à réintégrer le commandement militaire intégré de l’OTAN qu’avait quitté le Général de Gaulle en Mars 1966, au nom de la souveraineté et de l’indépendance nationale.
Tout cela est oublié. La France, docile, est rentrée au bercail et ce n’est pas la présence d’un général français à la tête du commandement " transformation " de l’Alliance qui changera la donne... Dans sa tribune publiée par " le Monde", l’Ambassadeur Rivkin nous sollicite à mots couverts : " toute nouvelle contribution française en Afghanistan sera la bienvenue". "Nous devons faire plus maintenant pour faire moins plus tard" assène d’ailleurs Anders Fogh Rasmussen, le Secrétaire Général de l’OTAN. Et le 16 Décembre 2009, le Ministre de la Défense, Hervé Morin, évoquait, au cours d’un débat à l’Assemblée Nationale l’option de renforts qui répondraient aux demandes américaines.
Comme l’a souligné Nicolas Dupont-Aignan, "les Français voient concrètement ce qu’il en coûte de mettre notre pays sous la tutelle de l’OTAN".
Alors que l’Afghanistan entraîne avec lui son voisin pakistanais dans une dangereuse déstabilisation, la vision gaullienne de l’Histoire et du rôle de la France est jetée aux oubliettes. De même, d’ailleurs, que le multilatéralisme : au nom de quelle résolution du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, répondent les nouveaux engagements planifiés par les dirigeants de l’OTAN "à Bruxelles" comme l’écrit ingénument l’Ambassadeur Rivkin ?
La guerre d’Afghanistan est un combat sans issue. Quant au retour dans l’OTAN, c’est la trahison du Gaullisme et la mise à l’encan d’une certaine idée de la France.
Gilles THEVENON
Debout La République Fédération de Saône-et-Loire (71)